Wed, 29 Nov 2023

Russie en Afrique: Les raisons de l'offensive de charme

The Conversation
29 Sep 2022, 18:50 GMT+10

Moins de 1% de l'investissement etranger direct en Afrique provient de la Russie. Substantiellement, la Russie apporte donc peu au continent. Mais la visite très remarquee du ministre russe des Affaires etrangères, alors même que la guerre de la Russie en Ukraine fait rage, demontre à quel point la Russie a besoin de l'Afrique.

L'une des priorites du voyage de Lavrov - en Egypte, en Republique du Congo, en Ouganda et en Ethiopie - est de demontrer que la Russie n'est pas isolee sur la scène internationale, en depit des dures sanctions occidentales.

L'objectif est de depeindre la Russie comme une grande puissance libre de toute entrave qui a des allies partout dans le monde avec lesquels elle poursuit des relations comme si de rien n'etait.

La Russie tente egalement de normaliser un ordre international base sur la loi du plus fort où la democratie et et le respect des droits humains restent facultatives.

Le voyage de Lavrov en Afrique est donc important pour le positionnement geostrategique de la Russie. Les messages russes depeignent l'expropriation imperialiste de territoire en Ukraine comme quelque chose qui s'inscrit dans le cadre plus vaste de la lutte ideologique entre l'Orient et l'Occident. Si Moscou parvient à convaincre avec un tel message, peu de pays la critiqueront.

Cela explique en partie pourquoi 25 des 54 pays d'Afrique se sont abstenus ou n'ont pas vote pour condamner l'invasion russe de l'Ukraine lors des votes de l'Assemblee generale de l'ONU ES-11/1 en mars dernier. Cette reponse ambivalente offre un contraste saisissant avec la condamnation generalisee dans toutes les autres regions du monde.

Lavrov devrait aussi tenter de presenter le recent accord entre la Russie et l'Ukraine pour debloquer plus de 20 millions de tonnes de cereales ukrainiennes comme un geste humanitaire de la Russie. Et ce en depit du fait que c'est l'invasion et le blocus russes des ports ukrainiens qui empêchent ces cereales d'atteindre les marches internationaux. Le bombardement russe du port d'Odessa le lendemain même de l'accord suggère que Moscou continuera à se servir de la crise alimentaire comme d'une arme, tout en pointant l'Occident du doigt. L'Egypte et l'Ethiopie, deux pays cles sur l'itineraire de Lavrov, ont ete particulièrement atteints par cette coupure dans la distribution alimentaire. Le blocus russe a en effet entraine le doublement des prix des denrees cerealières cette annee, creant ainsi des pressions politiques et sociales intenses à travers l'Afrique.

Ce que gagnent les pays hotes africains

Mettre l'accent sur les considerations ideologiques contribue à masquer le caractère modeste des investissements economiques et diplomatiques de la Russie en Afrique.

Cela pose donc la question de savoir ce que gagnent les dirigeants africains à accueillir Lavrov alors même que la Russie essuie des critiques virulentes pour son agression non provoquee et la destabilisation qui s'en est suivie des marches globaux de l'alimentation, des engrais et du carburant. La reponse courte est qu'ils cherchent un soutien politique.

L'influence grandissante de la Russie en Afrique ces dernières annees est en grande partie le resultat de l'usage, par Moscou, de moyens non-officiels, notamment le deploiement de mercenaires, les campagnes de desinformation, d'accords de ressources contre des armes et du trafic de metaux precieux. Ces instruments à moindre frais ont un grand impact et sont normalement utilises pour soutenir des dirigeants africains isoles et dont la legitimite est en question. Le soutien russe aux dirigeants en difficulte de la Republique centrafricaine (RCA), du Mali et du Soudan a ete d'un grand apport pour leur maintien au pouvor.

Il faut aussi noter que cette approche asymetrique russe pour augmenter son influence en Afrique se distingue par le fait que ces partenariats sont etablis avec les dirigeants en personne et non pas avec la population. Il s'agit donc de coopter les elites plutot que d'etablir une cooperation bilaterale traditionnelle.

Comprendre ces motivations permet de mieux cerner le voyage et l'itineraire de Lavrov. Le president egyptien Abdel al Sisi est un allie cle dans les efforts russes à installer un gouvernement fantoche en libye. Ceci permettrait, en effet, à la Russie d'etablir une base navale durable dans le sud de la Mediterranee et d'acceder aux reserves de petrole libyennes.

Sisi est aussi un partenaire de la Russie dans sa tentative d'entraver les efforts pour entraver les transitions democratiques soudanaise et tunisienne.

Par ailleurs, la Russie est un fournisseur important d'armements pour l'Egypte. Un prêt de 25 millions de dollars finance par la Russie pour que l'entreprise d'energie atomique Rosatom construise la centrale nucleaire de Dabaa au Caire n'a guère de sens du point de vue economique. Mais il sera une aubaine pour les sbires de Sisi et de Poutine, tout en permettant à la Russie d'asseoir son influence sur Sisi.

Le voyage de Lavrov en Ouganda donne une couverture politique au regime de plus en plus repressif et imprevisible du President Yoweri Museveni, alors même qu'il tente de mettre en place une succession hereditaire au profit de son fils, Muhoozi Kainerugaba. L'interêt principal de la Russie en Ouganda est de faire venir dans l'orbite de Moscou encore un pays d'Afrique jusque-là plutot penche vers l'Occident. Pour Museveni, se rapprocher de la Russie est un message pas si subtil de son intention de s'aligner encore plus avec Moscou si l'Occident s'avère trop critique par rapport à la deterioration de la situation des droits humains et de la faiblesse de democratisation dans son pays.

Le Premier ministre ethiopien Abiy Ahmed tente lui aussi de se defendre contre de virulentes critiques internatonales concernant les allegations presumees de violations des droits humains commises par L'Ethiopie et les entraves à Tigre et pour les entraves à la distribution d'aide humanitaire dans la region. Addis Abeba a bien apprecie les actes poses par la Russie pour contrecarrer les resolutions du Conseil de securite de l'ONU sur le conflit au Tigre et la crise humanitaire.

L'Ethiopie a longtemps mene une politique etrangère independante. Mais Addis Ababa abritera le prochain sommet Russie-Afrique, prevu cette annee. Un evènement qui pourrait servir de plateforme visible pour renforcer le message de Moscou que la Russie demeure la bienvenue sur la scène internationale.

Lors de son passage à Addis Ababa, on peut s'attendre à ce que Lavrov mette en relief les liens proches de la Russie avec l'Union africaine. La peur de contrarier la Russie a pousse l'organisme regional à reporter à plusieurs reprises une reunion virtuelle avec le President Volodymyr Zelensky. Quand la reunion s'est enfin (discrètement) tenue en juillet, seuls quatre dirigeants africains y ont participe.

Le President Denis Sassou-Nguesso de la Republique du Congo a dirige le pays d'Afrique centrale depuis 1979 - il ne s'est ecarte du pouvoir que pendant cinq ans. Le pays est 162 ème sur 180 dans le classement annuel de Transparency International, l'indice de perception de la corruption. Le pays s'est fait remarquer par Moscou pour ses efforts visant à accroître son controle sur les exportations d'hydrocarbures depuis le Congo, la RDC, et la RCA, en passant par Pointe Noire. Cela renforcerait aussi l'influence russe sur les marches mondiaux de l'energie globaux.

Quels avantages pour les Africains ordinaires?

La visite de Lavrov demontre que certains dirigeants africains estiment qu'il existe une interêt politique à maintenir des liens avec la Russie, en depit de sa reputation internationale ternie. En effet, la plupart des pays inclus dans cette tournee en Afrique maintiennent des relations importantes avec l'Occident.

Recevoir une visite très remarquee de Lavrov ne traduit pas des velleites de defaire ces liens mais plutot d'acquerir davantage d'influence auprès des pays occidentaux.

Mais ce jeu est dangereux pour les dirigeants africains. L'economie russe, equivalant à celle de l'Espagne n'a pas realise des investissements et des echanges commerciaux importants en Afrique (mis à part les cereales et les armes) et est de plus en plus deconnectee du système financier international.

Par ailleurs, l'investissement directement international est fortement associe au maintien de l'Etat de droit. En montrant qu'ils sont ouverts à l'ordre international de la Russie qui ne respecte pas le droit, ces dirigeants risquent de compromettre leurs chances d'obtenir plus d'investissements de l'Occident.

Neuf des dix pays avec le plus d'investissements directs en Afrique, representant 90 % de ces investissements, font partie du système financier occidental. Cela pourrait prendre des annees avant que les pays d'Afrique ne se remettent d'une reputation ternie qu'ils risquent ainsi en adherant à la vision du monde russe selon laquelle le respect de la loi n'est pas contraignant.

Le voyage de Lavrov en Afrique n'est pas un evènement isole, il fait plutot partie d'une composition choregraphique en cours. Moscou essaye de gagner en influence en Afrique sans pour autant y investir. Cette strategie ne portera ses fruits que si certains dirigeants africains y voient un moyen de consolider leur emprise sur le pouvoir, malgre les atteintes aux droits humains et aux normes democratiques.

Si les avantages pour Moscou et les dirigeants africains sont clairs, ils le sont nettement moins pour les citoyens ordinaires d'Afrique.

Author: Joseph Siegle - Director of Research, Africa Center for Strategic Studies, University of Maryland The Conversation

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